Il y a un paquet de choses que j'aimerais t'écrire, il y en a un paquet que je t'ai déjà dites. Je vais donc sans doute me répéter, non pas pour que tu comprennes mieux, mais parce que ce sont des choses qui tournent dans ma tête, sans arrêt.
Lorsque tu m'as annoncé par texto que tu me quittais, j'étais en plein repas avec mon collègue, une collègue, une supérieur et un responsable international. Dans mon assiette, il y avait un morceau de poulet cuit à l'eau, spécialité du coin parait-il. J'avais mangé l'équivalent de 2 bouchées quand mon téléphone a vibré. Je ne me rappelle pas des 5 minutes suivantes, un véritable trou noir. Je pense être passé par toutes les couleurs du spectre visible, et même au delà. Je ne me souviens pas avoir fini mon plat, et pourtant lorsque je suis sorti de table, il n'y avait plus rien dans mon assiette. Je ne me souviens pas avoir parlé, avoir acquiescé ou avoir rit à quoi que ce soit cette après-midi là. Je me suis donc levé, ne prenant même pas la peine de prétexter quoi que ce soit, et je suis sorti du restaurant. Il faisait beau, de nombreuses personnes mangeaient en terrasse. Je me suis donc éloigné un peu, par pudeur sans doute. Puis j'ai passé cet appel. Ma voix tombait en lambeaux, je n'arrivais pas à réfléchir et a aligner 3 mots dans un ordre correcte. Du moins, c'est le souvenir qu'il me reste de cette conversation. Peu après, je suis retourné m'assoir à table, personne ne me fit de remarque sur mon absence. Ils étaient en train de finir leur café, ont plaisanté en anglais, je n'ai pas rit. Mon collègue s'est levé de table, nous nous sommes dirigés au comptoir pour régler. Sans doute que la supérieur a remarqué mon teint blafard puisqu'elle m'a demandé, avec son accent polonais, si je me sentais bien. J'ai bégayé que je devais partir, une urgence "familiale". Sur le chemin du retour, entre le restaurant et l'entreprise, l'autre collègue marchait à côté de moi : "Alors, tu es très proche de cette petite, à cette âge là, elle doit se sentir proche de toi aussi". Je ne me souviens pas avoir répondu, j'ai sans doute hocher la tête pour éviter d'autres questions.
J'ai récupéré mon bagage, puis ai volé vers l'arrêt de bus, vers la station de métro, et enfin à la gare. Je me suis approché du guichet pour échanger mon billet, l'agent m'annonca alors qu'il n'y avait plus de places dans les 2 prochains trains, et que je devais attendre 2H30, je n'ai même pas eu la force de râler, alors que c'est ce qui me caractérise en temps normal. Je suis sorti avec mon billet à la main, m'allumer une cigarette. Une femme qui regardait une vitrine avec sa fille fit un pas en arrière et trébucha légèrement sur ma valise. Elle se retourna, et alors que je murmurais un "pardon" inaudible, me fit la réflexion :"Ne dites pas pardon surtout". Je me rappelle m'être retrouvé dans un état second, j'ai ressenti une colère effroyable. Après que j'eusse terminer de l'assener d'insultes en tout genre, la femme et sa fille repartirent d'où elles étaient venues en me qualifiant, à juste titre, de fou furieux. Je me suis alors accoudé à une rembarde, les voitures me frôlaient, et j'ai fumé, comme je n'ai jamais fumé, cigarette sur cigarette tandis que toutes les 3 minutes, des badauds venaient me demander du feu, des cigarettes, l'heure ou la direction de l'office de tourisme. Après un temps qui me parut extrêmement long (20 minutes, en fait), je pris la décision de monter dans le prochain train, billet, ou pas. Je trouva une place sans difficultés, me demandant comment la SNCF avait fait son compte. Au bout de 20 minutes, le contrôleur passa, contrôla, mais ne me fit aucune réflexion. Je n'ai quasi aucun souvenirs du reste du voyage, comme si je m'étais mis en pilote automatique. Je me rappelle vaguement du RER que j'ai du prendre pour rejoindre St Lazare, et c'est tout. Si, des bourdonnements dans ma tête.
Arrivé gare de Caen, je ne sais pas ce qui m'a prit, mais j'ai eu l'impression de voir ta voiture à l'endroit habituel. Je suis sorti de la gare, ai allumé une cigarette, puis me suis dirigé vers ta prétendue voiture, un mirage sans doute. Lorsque je suis arrivé de l'autre côté du trottoir, je n'ai plus vu ta voiture. Je me suis senti bête, et toutes les questions se sont accumulées, d'un coup, pourquoi serait-elle venue me chercher ? Déjà, va-t-elle vraiment me recevoir ? Va-t-elle me gifler, me cracher au visage, m'insulter ? Il y a-t-il encore en elle un peu d'amour ? Sera-t-elle seule ce soir, veut-elle se venger, est-ce qu'elle aura laissé la porte ouverte pour que je rentre et la trouve occupée ? Sera-t-elle en train de pleurer, de crier ?
Quand je suis arrivé devant ta porte, celle-ci était ouverte. Je crois qu'à ce moment précis, mon coeur a du sauté une ou deux pulsations, c'est très étrange cette sensation, le souffle coupé, la gorge qui s'asèche instantanément, un goût de fer sur la langue (peut-être du sang à force de mordre ma joue toute la journée), la force qui s'échappe totalement de chacune des parties de mon corps, et cette impression, comme dans les films, que l'espace s'agrandit autour de toi, que les murs s'écartent, que le sol s'ouvre sous tes pieds.
Il n'en était rien, tu le sais mieux que moi. Les heures qui ont suivis m'ont laissé vide, d'idées, d'amour propre, de volonté, de force. J'aurai couru deux marathons que mon corps aurait eu plus de consistance. Tu paraissais tellement forte, tellement sûre de toi, sans scrupules (pourquoi en aurais-tu eu ?). Tu alternais, sans difficultés visibles, le sujet et d'autres, plus légers. Alors que je ne pouvais me détacher de la situation, tu semblais pouvoir discuter de la pluie et du beau temps avec E., comme si notre conversation n'avait pas de conséquences. Alors que ton détachement effrayant me figeait peu à peu sur mon sort, m'enfoncer doucement dans ton canapé, ma gorge se serrait de plus en plus. A tel point qu'il me fallut me lever une fois pour aller vomir. Tu étais tellement forte.
Je ne voulais pas que tu me vois sombrer, mais bien malgré moi, il y a des réactions du corps qu'on ne peut cacher, et mes sorties répétées n'ont pas été d'une grande utilité. Je sortais m'effondrer, me tordre de honte, verser toutes les larmes de mon corps. Et je rentrais, vidé pour un temps. Puis E. est partie, et je suis resté seul pour t'affronter, me confondre en excuses parce que je ne savais pas quoi faire d'autre. Comme je te l'ai dit ce soir là, seul des mots d'amour me venaient aux lèvres, maladroitement d'ailleurs, comme une envie de t'etouffer d'amour pour te faire arrêter de me haïr, te couvrir de mes sentiments pour que tu arrêtes de m'en vouloir. Mais non, je ne savais que m'excuser, te dire à quel point j'étais stupide et que je ne méritais plus rien. Si j'ai pu te paraître minable ce soir là, c'est que je l'étais. Il n'est pas dans ma nature de m'appitoyer, j'ai toujours sû rebondir, même sur mes angles. Mais pas cette fois là, je n'étais plus rien, plus que ce que tu projetais de moi.
Les larmes te sont alors montées, comme si tu étais fatiguée du reste. Ma culpabilité n'avait pas fini de croître. Lorsque l'on s'est frôlé, la première fois ce jour là, pour s'échanger le briquet, le monde s'est écroulé, à nouveau, des ruines sur des ruines, le World Trade Center le retour du grand 2.
Par la suite, je n'ai eu cesse de chercher un contact, mais je ne voulais pas le provoquer, je voulais que cela revienne naturellement. J'ai compris, un peu tard, et dans la douleur d'un hôtel, que ce n'était pas possible. Nous nous sommes frôlés encore quelques fois ce soir là, parfois même j'ai pu sentir ta peau sur ma bouche et tes cheveux sous mes doigts. Puis je suis descendu à l'hôtel, et j'ai passé la pire nuit de mon existence.
Au matin, alors que je n'avais pas encore conscience d'où je me réveillé, de qui j'étais, de quand j'étais, ma gorge se serra de nouveau, je pense que mon corps avait repris conscience avant mon esprit. J'ai quitté la chambre vers 9h30. J'ai remonté péniblement la côte qui m'amenait chez toi. Ta voiture n'était pas là, chose attendue. Je me suis assis pendant une petite heure sur le banc en face de chez toi, jusqu'à ce que la pluie vienne. J'ai cherché un instant la voiture de G., comme si elle pouvait m'apporter un réconfort passager. Lorsque mes cheveux furent plus mouillés que mes yeux, je me réfugia sous ton porche. Un voisin m'enjamba quasiment pour accéder à la porte. Les mégots s'accumulaient sous mes pieds. Je reçu un texto de M. qui m'intima d'aller prendre un café, de retrouver mes esprits. C'est curieux, mais en un an de relation, jamais je n'avais mis les pieds dans le bistrot pourtant situé à moins d'une minute de chez toi. Je pris soin de choisir le siège orienté de manière à te voir arrivé. Il était 11H environ, et pourtant je ne pouvais arrêter de scruter la petite route qui mène chez toi, comme si par magie, ce jour là, tu avais fini plus tôt. Les gens se soucient peu des autres gens, ils sont dans leur bulle, en quelque sorte. En une heure et demi de temps, j'avais vu un vendeur se faire refouler à toutes les portes de la rue dans face, un adolescent descendre fumer une cigarette en cachette, vraisemblablement, un homme se garer avec une très grosse cylindrée puis venir commander un thé au citron, des collègues se retrouver pour aller dîner en bavant sur leur patron, ... On voit mieux tout ça, lorsqu'on est vide. Tu sais, lorsque dans les films, un homme ou une femme se retrouve fixe au milieu d'une foule immense en accéléré, on pense que le temps passe vite, mais c'est l'inverse. Sans doute l'heure et demi la plus longue de mon existence. Je n'avais pas en tête de te retrouver et de t'embrasser. Mais j'espérais une issue différente que la veille, légèrement du moins. Comme j'avais tord, encore.
Quelques double expresso plus tard, tu étais sur cette route. J'arriva devant chez toi au moment où tu te garais. Tu parlais, ton oreillette et ton iPhone rose à la main. Presque en m'ignorant, tu m'invitais à monter. La suite n'a été qu'un replay de la veille au soir, des regrets de mon côté, des rancoeurs du tien, mais une issue similaire. Comment avais-je pu être si naïf ? Comment avais-je pu envisager, ne serait-ce qu'une seconde, que la nuit t'aurait fait changé d'avis ? Passons l'épisode de la box, et le nombre incalculable de fois où j'ai voulu t'embrasser, te prendre la main. Il y a des jours où l'on ne se remet de rien, ce jour là, je ne me suis pas remis de vivre.
C'est étrange cette façon qu'on a de disjoncter par moment, au sens pur du terme. Cette manière de changer sa manière d'être au moment où l'on devrait le plus être soit même. Hé bah non, il y a un petit circuit imprimé là haut qui dit : "Attention, situation critique, tous aux abris, abandonnez vos postes". Durant les 15 dernières années de ma vie, j'ai passé mon temps à analyser tout et n'importe quoi. "Tiens, il me reste 26 minutes de sommeil, ça fait combien de secondes ? Ah merde, j'ai trop réfléchis et ça m'a réveillé" (exemple non contractuel). " Tiens, pourquoi cette personne vient de shooter dans une canette ? Qu'est ce qu'il a bien pu lui arriver aujourd'hui, qu'est ce qu'il fait dans la vie, est-ce qu'il est heureux ?" Tiens, pourquoi elle a utilisé ce mot plutôt qu'un autre ? Qu'est ce qu'elle a voulu dire ?" etc etc ... Sauf que dans les derniers moments que j'ai vécu, j'ai été incapable d'analyser quoi que ce soit. Comme si un nombre incalculable d'informations m'arrivaient au cerveau et que j'étais incapable de les traiter correctement. Un homme censé n'aurait pas pleuré devant une femme qui déteste les hommes qui pleurent. Un homme censé n'aurait pas attendu à sa porte comme un chien pendant 2 heures. Un homme censé n'aurait pas demandé un baiser à la femme qu'il vient de décevoir au plus haut point.
Puis tu m'as déposé à la gare. J'ai regardé ta voiture s'éloigner. J'ai tourné au coin de la rue pour te voir partir, attendre une seconde au feu rouge, puis remonter la côte. Je me suis écarté et j'ai attendu de voir ta voiture passée au niveau des rails du tram. Et je suis resté là, j'ai regardé mes pieds, j'ai allumé une cigarette, m'en suis faite taxer une, puis deux. Je regardais au loin, un Scénic gris, ça ne se rate pas. Il s'est mis à pleuvoir. Des mecs chelous se sont regroupé sous le porche de l'hôtel pour se protéger de l'eau. Je suis resté un moment sous la pluie, une sorte d'ascétisme, sans doute. J'ai attendu comme cela 50 minutes. Non pas que j'avais du courage ou de l'espoir, mais plus parce que j'avais peur de bouger, de prendre ce foutu train qui m'emmenrait loin de toi. Tu n'es pas repassée par là, et tu as eu raison, je ne sais pas comment j'aurais réagis. Sans doute que je ne me serais caché pour pas que E. ne me voit, pour pas qu'elle ne me réclame.
J'ai pris ce train. J'ai gardé mes lunettes de soleil pendant tout le trajet. J'ai reçu un appel de ma mère, je ne voulais pas lui en parler comme si le faire serait signer en bas du contrat " Lu et approuvé, je renonce à elle". Et pourtant, je n'ai pas pu me retenir. Ma voisine de siège n'a pas du bien comprendre ce qui se passait, probablement qu'elle aura cru à la mort de quelqu'un ou à une maladie incurable tellement j'avais l'impression de perdre une partie de moi. Ma mère m'a consolé comme elle a pu, comme une mère console un gosse qui pleure. Tu vois, en somme, je manque de maturité parfois.
Arrivé à St Lazare, j'ai marché à côté de ces gens, j'ai vu ces couples qui se reformaient et se déformaient. J'ai énormément pensé à "Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part". Comme si tu avais égrainé dans ma mémoire des indices pour le futur, des petites aiguilles maléfiques prêtes à surgir au pire moment. M. est arrivé. Il est sorti de la voiture et m'a pris dans ses bras, et nous sommes parti. La suite n'est qu'un mélange de faux sourires, de faux rires. Déjà parce que les plaisanteries en arabe me touchent rarement, mais aussi parce que je n'avais pas le coeur à ça, je n'avais le coeur à rien, en fait. J'ai mangé, pour la première fois depuis 48h, j'en avais besoin.
Depuis ce temps, nous nous sommes eu au téléphone quelques fois. Ce lien que nous avons tout deux refusé de briser, par peur de se perdre. Que tu le veuilles ou non, que tu en sois consciente ou non, tu n'as jamais voulu me voir partir. Mais ce foutu conflit entre "la tête, le coeur et les couilles" fait des ravages (même si techniquement, l'influence des couilles est moindre chez toi). Les affres de l'intelligence, en fait. Un couple de con n'a pas ces soucis, heureux sont les simple d'esprit, n'est-ce pas ? Je crois que j'aimerais bien être con, une fois, juste pour voir. Mais on me dit dans l'oreillette que je l'ai déjà été, une fois de trop.
Je viens de raccrocher le téléphone, et tu m'as dit au revoir. Tu m'as dit que tu voulais prendre de la distance. Pour ma part, je trouve que Lille/Caen, c'est déjà pas mal. Mais il faut croire que tu avais une autre distance en tête. Nous nous reverrons vendredi. Et je ne sais pas ce qui va arrivé. J'aimerais voir les proba, estimer mes chances, mais c'est impossible. Si ta tête l'emporte sur ton coeur, si tes couilles sont en vacances ... Je suis effrayé à l'idée de briser ce pont, et si tu dérives, si tu prends le large ? Et si tu te rends compte que de loin, la côte est fade ? Dans quatre jours, nous verrons ce qui adviendra. Bien malin est celui ou celle qui pourra prédire la suite. Je t'ai parlé de Schrodinger il y a quelques jours, et de son chat. Tant qu'il n'est pas sorti de la boîte, il n'est ni vivant, ni mort, il est les deux à la fois. Je crois que nous devons sortir notre histoire de la boite, et ces 4 jours sont la clé (je t'avais dit que j'étais bon en métaphore).
Ce texte n'a, en réalité, pas grand intérêt. Il ne te fera pas changer d'avis, ne me fera pas changer d'avis. Un exutoire ? Sans doute.
La rigueur m'empêche d'user des "mon amour", "ma chérie", des "ma puce" et des "ma chatte". Mais comme tu le sais, la rigueur n'a jamais été mon fort. Alors tu me manques mon amour, tu me manques comme jamais rien ni personne ne m'a manqué.
Le voici, mon demi contact. Ne m'oublis pas, s'il te plait.